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PEATREEKERS DOUBLE STANDARD

Retour à Islay.

 

A 7h30, nous étions, comme tous les matins, en train de boire tranquillement un café dans le bow-window de la ferme des scarabées, en nous remémorant les dégustations de la veille. Au loin, nous devinions le Loch Skerrols qui commençait à émerger, comme nous, de la brume. A mi-chemin se trouvait la table où nous avions dégusté de merveilleuses boissons la veille avant de devoir rentrer chez nous attaqués par des nuages de moucherons.

 

Nos regards ont été attirés par la présence d'une bouteille ! Nous étions tous rentrés la veille ! Il fallait aller voir. Quelle surprise, une fois sur place, de découvrir une jolie bouteille sombre mais...vide ! Sur cette dernière était écrit PEATREEKERS DOUBLE STANDARD ! Un nouveau venu que nous n'avions pas encore eu l'occasion de connaître.  

 

Qui a pu le mettre là ?

 

Sous la bouteille, un mot écrit en gaélique : "Còmhlan Renegade, ma tha thu airson am botal seo a lìonadh agus blas an uisge-bheatha thid thu dìreach gu tuath gu 9 mìle ! (Groupe de renégats, si vous voulez remplir cette bouteille et goûter aux origines du whisky en allant tout droit vers le nord à 9 miles !)

 

L'envie de découverte était trop forte. Aussi, une fois que tout le monde a émergé des brumes tourbeuses de la veille, nous partons à l'aventure.

 

Nous avons d'abord fait le tour du loch, laissé deux cygnes barboter dans la brume, passé la pierre debout de Scarrabus, avant de gravir quelques collines vers le nord de l'île en suivant la rivière Droslay. Après avoir dépassé le rondin du même nom, nous retournons dans la forêt.

 

Après une heure de marche dans cette forêt, d'abord parsemée de violettes, puis de plus en plus dense, nous arrivons à une barrière avec un panneau où l'on peut lire " Ne passez pas, Pas d'excuse pour l'accise ! " suivi d'une tête de mort. Mystère ? ! Pas très engageant ! Cependant, comme le panneau semblait être vieux de plusieurs siècles, nous avons continué notre chemin.

 

Un peu plus tard, alors que la forêt devenait de plus en plus dense, elle changea d'aspect. Les arbres, jusqu'alors de couleur brun-vert, prirent une couleur plus noire, comme s'ils avaient été carbonisés. En outre, une odeur de tourbe de plus en plus forte se faisait sentir.

 

Nous sommes finalement arrivés devant une grange qui semblait également vieille de plusieurs siècles. Cependant, elle était encore active car une épaisse fumée grise sortait de sa cheminée. L'odeur de tourbe était maintenant omniprésente.

 

 

Juste devant le bâtiment, notre regard a été attiré par une tombe. Sur la croix plantée était inscrit "Daniel Campbell - Bàs le chisean" (Mort avec ses impôts en gaélique - ndlr). Nos yeux ont ensuite été attirés par des vêtements suspendus à des cordes à linge (un peu surprenant au milieu de la forêt) ! Il devait vraiment y avoir une vie.

 

Nous avons alors frappé fébrilement à la porte, presque la peur au ventre qu'un mort-vivant apparaisse.

 

Nous avons été rassurés quand un homme a ouvert la porte et nous a dit : "Halo, tha mo ainm mar Leslie agus bha mi a'feitheamh ort" (bonjour, je suis Leslie et je vous attendais en gaélique - ndlr -). Il nous a conduits dans ce qui s'est avéré être une distillerie mais qui, comme le bâtiment qui l'abritait, semblait remonter à plusieurs siècles.

 

En passant devant l'homme, nous nous sommes rendu compte qu'il dégageait une très forte odeur de tourbe, comme si elle était accrochée à lui ! Nous étions en présence d'un véritable tourneur (très rare de nos jours puisque la distillation du whisky est redevenue légale en Écosse depuis le XVIIIe siècle - ndlr). Au milieu de la pièce trônait un alambic noirci, certainement par les milliers de chauffages, mais qui semblait néanmoins encore fonctionner. Ici, la tourbe était omniprésente, et la fumée aussi. Elle était utilisée comme combustible comme autrefois et c'est elle qui donnait à ces lieux leur odeur caractéristique. 5 petites minutes dans cette grange et nous avions déjà l'impression d'être nous aussi des tourbeux, tant les arômes de fumée avaient imprégné nos vêtements.

 

 Sans rien dire de plus, la mystérieuse Leslie nous a emmenés au fond du bâtiment devant ce qui devait être son espace de stockage et de maturation. A l'odeur de fumée s'ajoute maintenant l'odeur de moisissure liée à l'évaporation de la part des anges ! Quel endroit !

 

 Après avoir frappé frénétiquement le tonneau avec son maillet de débondoir, il y a plongé son goût de vin pour libérer un liquide jaune profond légèrement trouble. De là où nous nous trouvions, nous pouvions déjà sentir les arômes tourbés qui annonçaient une typicité marquée.

 

Le whisky a d'abord rempli notre bouteille, que nous avons tendue comme un graal, puis s'est retrouvé dans des verres placés à proximité.

 

Après avoir donné la bonde pour éviter que les anges ne se gorgent trop vite de ce beau liquide, il nous a invités à nous réunir autour d'une cheminée ou d'un feu... de tourbe pour déguster ce qui semblait s'annoncer comme un bel assemblage de whisky tourbé.

 

A notre grande surprise, les premiers arômes qui ont attaqué notre nez n'étaient pas du tout les notes tourbées que nous avions imaginées, mais des notes très boisées et même fraîches. Mais cela n'a pas duré longtemps, dès que son nez est sorti du verre pour prendre un peu d'air "frais" (tout à fait relatif vu le lieu), il a été envahi par la tourbe, la vraie, pas la drôle. Nous jouions la vérité maintenant, nous pouvions mesurer la chance que nous avions de ressentir ce que les Écossais avaient ressenti des siècles avant nous. Une tourbe puissante, un goudron chaud, qui colle aux vêtements et maintenant au nez. Le bonheur de tout amateur.

 

Avant de se lancer dans notre dégustation, Leslie nous a raconté l'histoire des whiskies écossais, autrefois interdits par des décrets d'État. Des renégats qui distillaient illégalement dans les forêts, des exciseurs corrompus, des vêtements accrochés comme des bannières.....

 

 Nous avons maintenant remonté le temps et nous nous sommes retrouvés dans un bothy illégal à l'affût du moindre bruit.

 

Le moment était venu de goûter enfin notre boisson. En bouche, il avait la douceur d'un boudoir à la vanille mais cuit dans un four à tourbe ! Une tourbe aux senteurs sucrées très agréables ! Comme sur les vêtements, la tourbe s'est accrochée à la gorge. Elle laisse une légère amertume. Elle est maintenant omniprésente : le lieu, les vêtements, la gorge....la tête.

 

Quel beau voyage à travers le temps et les sens avec ce mélange qui reflète les origines de cette eau-de-vie !

 

La matinée s'est poursuivie autour du feu de tourbe, en dégustant ce beau whisky et en écoutant des histoires de voyous distillant illégalement.

 

Alors que nous étions sur le point de nous lancer dans de nouvelles aventures, un bruit est venu de l'extérieur et Leslie s'est arrêté de parler et nous a demandé de faire de même. L'angoisse et la peur peuvent nous envahir (et probablement), un peu exacerbées par les quelques verres bus. Avions-nous le droit d'être là ? Nous étions désormais des renégats et nous sentions la tourbe au visage. Il nous a fait sortir par une petite porte latérale et nous a dit de nous faufiler dans les buissons pour éviter d'être pris......... 

  

Slainte ! !

 

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