· 

ARDNAMURCHAN 2019/AD

 

Parti du sud de la France, me voilà de retour en terres écossaises (sans problème de 40aine car en voyage virtuel –il faut bien y trouver un certain avantage-). Ma direction : l’Ile de Mull à l’ouest du pays.

 

Sur la route qui me mène à la ville de Kilchoan, d’où je dois prendre le bateau, alors que je longe la belle baie de Glenmore, la beauté des lieux m’attire et je décide de faire une pause pour me rincer l’œil ! 

 

 

En sortant de mon fidèle BRADPEAT sur le bord de la route côtière D8007, je fais face à un magnifique golfe et devine déjà au loin les contours de l’ile sur laquelle je dois me rendre. Cependant, alors que mon nez est fouetté par les embruns, une odeur familière vient s’y insinuer. De la fumée de tourbe ! Bon vous me direz, on est dans la campagne écossaise et il doit bien y avoir quelques vieilles maisons où le combustible reste naturel ! Je regarde autour de moi mais ne vois aucune ferme, que des arbres et de la bruyère. Pour autant, l’odeur de fumée de tourbe que je perçois n’est pas celle d’un banal bothy enfumé, elle parait moins lourde, plus subtile. Une distillerie en train de sécher son orge, cela ne peut être que cela.

 

Pour autant que je ne me souvienne, ma carte n’indique aucune distillerie dans la zone ! Une nouvelle peut-être ?

 

 

Je me laisse guider par mon nez et pars vers le nord. Au détour d’un virage je vois une rangée de tonneaux blancs et noirs et derrière un bâtiment moderne couvert d’un toit pagode ! Il n’y a pas à se tromper ! Je suis bien devant une distillerie ! Sur les tonneaux est marqué : ARDNAMURCHAN DISTILLERY. C’est la nouvelle distillerie ADELPHI dont j’ai entendu parlé ! 

 

En entrant dans la cours de la distillerie, j’aperçois un homme moustachu (aux faux airs de Charles Maclean, tiens tiens !!) en kilt et décide de me rapprocher pour lui parler. Ce dernier semblait être en train de danser !!?? Il s’arrête et me dit « bonjour, je m’appelle William Glad, puis-je vous aider ? ». Je lui raconte comment je me suis retrouvé là et lui dit que je ne connaissais pas bien cette nouvelle distillerie. 

 

Aussi, il me dit qu’il va me raconter son histoire et surtout me faire goûter à une des belles réalisations (pas encore un single malt car moins de 3 ans mais quand même de belles promesses), le 2019/AD.

 

 

En commençant la visite, il me dit que la distillerie a été construite en 2013 et a commencé à produire du whisky l’année d’après sous le nom d’ARDNAMURCHAN (qui se prononce ardnamouran avec l’accent –NDLR-). Pour autant, l’expérience de la marque est beaucoup plus ancienne puisque la première distillerie ADELPHI (LOCH KATRINE) qui se situait à Glasgow a été ouverte en 1826.  

 

Il me raconte également que c’est grâce à un de ses ancêtres (William Gladstone) que les distilleries peuvent stocker leur distillat net de taxe tant qu’il n’est pas vieilli et mis en bouteille (les fameux « dutyfree warehouse »).

Il me dit surtout que pour fêter ça, il avait fait un petit pas de danse, plus tard caricaturé (le « Dancey man »), et surtout repris désormais symbole de la marque !

 

 

Il me dit aussi que l’histoire de la marque ADELPHI est liée à une catastrophe à Glasgow au début du 20ème siècle (qui a d’ailleurs sonné le glas de sa production de malt au profit du distillat de grain) lors de laquelle l’éventration de cuves de malt a entrainé le déversement de plus de 500 000 litres de whisky dans une rue de la ville (un rêve vous pourriez dire mais qui s’est avéré mortel pour une personne).

 

Bref une histoire emplie d’anecdotes. 

 

Il m'explique que depuis 1971 (date à laquelle la distillerie LOCH KATRINE a définitivement fermé ses portes –NDLR-) qu’en bon écossais qui ne baisse pas les bras, la marque a poursuivi son chemin sous la forme d’un embouteilleur indépendant (avec de belles réussites qu’on lui connait avec notamment une spécialité dans les malt rares). 

 

Il termine enfin par me dire que la distillerie ARDNAMURCHAN a été inaugurée en 2013 par de têtes couronnées (monégasques et anglaises) et gagnera ses galons de Single malt en 2021 !

 

Il me fait visiter la distillerie, la salle de maltage, la belle salle des alambics (2) avec vue sur la mer et surtout, le warehouse au sol en terre où il me propose de goûter la réalisation de 2019. 

 

 

Dans cette distillerie tout est moderne. La bouteille qu’il me présente en est une bonne représentation. Elle est grise opaque et cache le liquide, n’en laissant voir qu’un petit filet de la forme d’un densimètre. Elle laisse cependant transparaître une belle couleur cuivrée.

 

Will me fait surtout part de ce qui est clairement une des principales caractéristiques de cette nouvelle distillerie : l’importance de la traçabilité des produits. En voyant la bouteille (sur laquelle sont déjà noté les informations de l’orge utilisée jusqu’au type de fût) je me dis effectivement qu’il y a traçabilité. Néanmoins mon hôte me dit de passer mon smartphone devant le flash code collé juste à côté de l’étiquette !

 

Et c’est là que je vois réellement ce que traçabilité veut dire. Sur mon téléphone apparaît tout le pedigree de la bouteille. Et quand je dis tout, c’est tout ! Bien entendu je découvre qu’elle est la bouteille n°4006 (sur les 5100 produites du distillat 2019 – contre 2500 pour les deux premiers) et même qui l’a remplie. On peut aussi découvrir quand l’orge (cultivée localement) a été maltée, quand et par qui l’alcool a été distillé, à quelle date et dans combien de fûts il a été conservé… traçabilité totale. Et comme on enregistre son adresse mail, on sait au final qui va la boire…

 

Sans que Will n’ait besoin de le faire, je découvre ainsi les caractéristiques de la bouteille que j’ai devant les yeux : Elle est composée de distillats tourbés et non tourbés et a été mis en bouteille en octobre 2019.

 

 

Quand on connait ADELPHI et le fait que le « Chief Nose » n’est autre que Charles Maclean, on pouvait se douter que le distillat d’ARDNAMURCHAN n’allait pas être un simple distillat. Celui que j’ai dans mon verre a été produit entre juillet 2015 et juin 2017 (ce qui en fait un distillat de 2 ans). Mais surtout il est issu de 9 chauffes différentes.  Et histoire d’y rajouter encore un peu de finesse, il est issu d’un « blend » de 3 fûts d’Oloroso, 18 fûts de Pédro Ximenes pour la version non tourbé et 5 fûts en chêne américains ex-sherry olorosso pour la version tourbée, le tous de capacités différentes (de 508 à 56 litres !). Vous rajoutez à cela une warehouse moitié au sol (en terre) moitié surélevé et surtout un climat maritime qui joue bien entendu sur le vieillissement…. De quoi rendre ce whisky des plus complexes.

 

Et alors ça donne quoi tout ça à part le tournis ?

 

En fait la jeunesse de ce distillat nécessite une adaptation progressive du nez. Je vous conseille de l’approcher progressivement du verre. Avant de la plonger bien à l’intérieur, vous aller tout d’abord avoir des notes plutôt vineuses, puis une très légère tourbe. Quand le nez rentre complètement dans le verre c’est là la chaleur mais aussi la fougue de la jeunesse qui eux rentre dans le nez. De belles notes sucrées de sherry, du phénol qui chatouille (57,4 % quand même les anges n’ayant pas encore détecté qu’il y avait une distillerie où se servir dans le coin). 

 

Au second passage l’odeur s’arrondie encore avec l’arrivée d’une odeur de raisin sec et d’une pointe de noix de pécan. On finira enfin au troisième passage sur la chaleur avec une note de mangue bien mure et de caramel.

 

Avec de l’eau le voyage s’arrondira encore et vous laisser vous lover dans la chaleur et la rondeur du sucre caramélisé.

 

Et dire que ce whisky n’a pas passer plus de 2 ans dans des fûts ! Il faudra voir ce qu’il donnera une fois qu’il aura bien grandi, il a déjà tout d’un sacré "sherry bomb".

 

William se relance dans son petit pas de dance (ça doit être une coutume des west highlands !)  tout en disant « slainte mhath my friend ».

 

Autant au nez ce distillat s’annonçait « chaud » et « rond », autant en bouche il va plus s’avérer frais !  Sa jeunesse et sa force vont le rendre un peu plus « tendu » (comme on pourrait dire pour un vin). Pour autant et c’est une surprise, on va se trouver ici avec un « sherry marin ». Il reste assez sucré sur les coté de la langue mais frais et salin sur le dessus. Je vais une fois n'est pas coutume passer outre la règle de 1 seconde par année (car il ne ferait qu’un bref passage en bouche), et vais quand même le garder un peu plus longtemps. Le temps de découvrir d’abord de belles notes de raisin sec pour ensuite basculer sur des notes plus mentholées et anisées (avec même quelques notes poivrées sur les papilles du fonds). C’est au moment de l’avaler que la pointe de tourbe se rappelle à nous.

 

C’est d’ailleurs ces notes tourbées et anisées qui resteront quelques temps dans la gorge une fois que nous l’auront avalé. Sa jeunesse elle restera plus sur la langue avec une pointe d’astringence.

 

Au moment de prendre congé de mon nouvel ami Will et de poursuivre ma route vers l'Ile de Mull, je me permets de partager un petit pas de danse avec lui (57,4 % quand même), mais surtout je le remercie de m'avoir fait faire cette belle découverte.

 

Cette "nouvelle" distillerie nous promet de belle choses dans l'avenir. En effet, avec un nez déjà bien posé et expressif, le distillat certes encore jeune laisse entrevoir un whisky de haut niveau quand il sera resté un peu plus longtemps dans les fûts de sherry. 

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0