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Distillerie WARENGHEM - Armorik 10 ans, 15 ans Yeun ELez Sherry


 

Il y a des voyages qui ne se planifient pas. Ils se ressentent.

 

Une envie de route, un parfum de sel dans l’air, un souvenir de tourbe dans un verre… et l’appel des whiskies façonnés par le vent et le granit breton.

 

Ce matin-là, j’ai mis le contact de BRADPEAT, mon fidèle van, mon repaire roulant. Direction : Lannion, en Côtes-d’Armor, pour un rendez-vous avec une légende vivante : la distillerie Warenghem.

 

Mais avant de pénétrer dans ses chais et de goûter aux ARMORIK 10 ans, ARMORIK 15 ans et YEUN ELEZ SINGLE CASK N° 8366, une halte et une visite tout près de la distillerie s'impose.

 


Benjamin Lefloch : artisan du bois et du feu

 

Dans le centre de Lannion, à quelques encablures de la distillerie, dans l’enceinte réinventée des anciens abattoirs, résonne un son clair : celui du maillet sur le chêne. C’est ici qu’officie Benjamin Lefloch, maître tonnelier, artisan au chapeau melon vissé sur la tête, silhouette intemporelle au cœur d’un atelier où le bois vit et respire.

 

Sa tonnellerie artisanale, héritée de plusieurs générations, perpétue un savoir-faire rare. Les fûts sont façonnés à la main, usinés sur des très vieilles et infatigables bécanes, chauffés au feu nu et cerclés dans le respect des traditions. Benjamin fournit notamment la distillerie Warenghem, avec qui il partage la même exigence de précision et de terroir.

 

Les anciens abattoirs : de la friche à l’effervescence

 

Ce lieu autrefois industriel s’apprête à devenir un nouveau pôle vivant de la scène brassicole et spiritueuse trégoroise. Warenghem y développe deux projets d’envergure : un bar de dégustation, pour explorer whiskies, liqueurs et créations maison, et une micro-brasserie, actuellement en cours d’équipement, qui accueillera le matériel de micro-brassage déjà acquis.

 

Pensée comme un prolongement vivant de l’esprit Warenghem, cette future brasserie élaborera de petites cuvées expérimentales, locales et pleines de caractère.

 


Une histoire  plus que centenaire : la distillerie Warenghem

 

Direction la distillerie !

 

Mais, avant tout, pour comprendre la singularité de Warenghem, il faut remonter le temps.

 

Tout commence en 1900, lorsque Léon Warenghem, receveur à l’enregistrement flamand passionné de plantes, installe ses alambics à Lannion. Il y distille une liqueur médicinale baptisée Élixir d’Armorique, alliance de plantes et d’épices, qui rencontre rapidement le succès. L’entreprise se développe ensuite sous la coupe de son fils Henri autour des crèmes de fruits et liqueurs fines, toujours élaborées sur place.

 

 

Mais c’est dans les années 1980 que la distillerie prend un virage audacieux sous la direction de Gilles Leizour : celui du whisky.

 

Pionnière en France, elle élabore d’abord un blend (WB), avant de lancer en 1998 le tout premier single malt breton, sous le nom d’ARMORIK.

 

Depuis, la gamme s’est très largement étoffée, intégrant des cuvées vieillies en fûts de chêne breton, des éditions bio, et des séries limitées qui séduisent jusqu’au Japon et aux États-Unis et elle place la distillerie comme un des leaders de la production française. En parallèle, la distillerie modernise ses installations, avec une salle de brassage performante en 2015, puis plus récemment, les projets structurants autour du bar et de la micro-brasserie.

 

 

Depuis 2010, c’est David Roussier qui guide Warenghem. Derrière son calme naturel,  il y a une vision claire : inscrire le whisky breton dans le paysage des grandes régions spiritueuses européennes. C’est sous sa direction que la distillerie a renforcé son indépendance, son ancrage local, mais aussi son ambition.

 

David a notamment œuvré pour faire reconnaître l’identité géographique et culturelle du whisky de Bretagne, en participant activement à la création d’une IGP dédiée. Il défend une production cohérente, intégrée, de la fermentation à la mise en bouteille, tout en valorisant les circuits courts et les artisans locaux comme Benjamin Lefloch (dont je vous ai parlé plus haut).

 

Il milite aussi pour que la Bretagne ne soit pas un simple territoire d’appoint du whisky, mais un acteur à part entière, audacieux et respecté.

 


Dans les entrailles de cuivre avec David Roussier

 

C’est David Roussier lui-même qui m’ouvre les portes du saint des saints. Derrière une grande baie vitrée, baignée de lumière naturelle, s’alignent les installations de distillation — cœur battant de Warenghem. David m’invite à le suivre, ses pas calmes résonnant sur le sol carrelé, tandis que l’odeur chaude du moût flotte encore dans l’air.

 

Nous commençons par les deux alambics pot stills écossais à repasse (conçus en Ecosse et fabriqués en Charente), véritables sculptures de cuivre qui étincellent sous les éclairages. « Ils sont la colonne vertébrale de nos single malts », me glisse David et leur optimisation a nécessité de longues heure d'échange avec Jim SWAN. Il m’explique leur fonctionnement en deux passes : une première chauffe pour concentrer les alcools, une seconde pour affiner, révéler les arômes. Chacun des deux alambics imprime sa propre signature : l’un plus ample et gras, l’autre plus sec et épicé. Ces nuances permettent à Erwan Lefebvre, le maître distillateur, d’orchestrer avec finesse la complexité des profils aromatiques d’Armorik.

 

 

Comme la distillerie ne produit pas que du single malt, David me conduit ensuite dans l'arrière cours, à la découverte des deux frères des gros pot stills !! 

 

Tout d'abord  un alambic à plantes, réservé aux liqueurs végétales et aux distillats floraux. Il rend hommage aux racines apothicaires de la maison.

 

 

Puis, dans un angle plus technique, nous découvrons l’alambic à colonne, utilisé pour les spiritueux de grain ou ou la fine de bretagne de la maison. Discret mais stratégique, il complète la panoplie de la distillerie avec efficacité.

 

 

Nous traversons ensuite la salle de brassage, installée en 2015. L’atmosphère y est chaude, légèrement moite, imprégnée d’orge et de levures. Ici, l’eau puisée dans les profondeurs granitique de la distillerie rencontre l’orge maltée bretonne, brassée avec soin pour former un moût sucré.

 

Dans les grandes cuves inox, ce moût fermente pendant plusieurs jours, sous la surveillance attentive de l’équipe de production. La magie opère en silence.

 

Dans un coin du local, une section attire l’œil : des fermenteurs plus petits, une cuve pilote. Il s’agit du futur noyau de la micro-brasserie de l’abattoir, projet en plein développement. Là-bas, à quelques centaines de mètres, Warenghem expérimentera des brassins inédits, des bières d’inspiration locale, souvent éphémères, toujours engagées.

 


Dégustation dans les chais : là où le temps façonne le goût

 

Pour clore cette immersion, David m’ouvre la porte d’un grand entrepôt moderne.

 

Les nouveaux chais. L’odeur qui m’y accueille est envoûtante : bois toasté, évaporation d’alcool, humidité bienveillante.

 

Les fûts y sont empilés sur cinq niveaux, dans un système dynamique qui optimise l’espace tout en garantissant la ventilation et la régularité du vieillissement.

  

On y croise des fûts de sherry, de bourbon, de porto, et même des expérimentations issues de la tonnellerie Lefloch. Certains marqués d’un simple numéro, d’autres déjà légendaires.

  

Bien que la distillerie dispose depuis plusieurs années désormais d'une magnifique et très moderne salle de dégustation en lévitation au dessus de la boutique, c'est au milieux des futs, aux étiquettes vertes ou oranges, que nous allons faire les dégustations du jour.

 


ARMORIK 10 ANS : LA MATURITÉ BRETONNE DANS UN VERRE

 

Sous la lumière filtrée du hangar David glisse entre nos mains une bouteille d'Armorik 10 ans. "Il faut le goûter ici, là où il a grandi", a-t-il soufflé.

 

Comment refuser une décennie de patience ?

 

Issu d’un assemblage rigoureux de single malts vieillis pendant dix ans dans deux types de fûts – fûts de sherry et fûts de bourbon américain –, Armorik 10 ans incarne une approche exigeante et locale du whisky. Il est embouteillé à 46 %, sans filtration à froid, sans colorant, fidèle à l’esprit pur du malt.

 

Ce whisky est produit en petites séries, dans le respect de l’identité Armorik : un single malt 100 % breton, façonné entre mer et lande, au rythme du climat trégorrois.

 

Avant de le gouter, David est assez fier de nous partager le tableau d'honneur de ce beau liquide :  Médaille d’Or au World Whisky Masters 2022 (The Spirits Business) , médaille d’Or au Concours Général Agricole de Paris 2023 et enfin, en 2024, médaille d’or à la première édition des World Drinks Award France (catégorie small batch 12 ans et plus). Des reconnaissances bien méritées.

 

 

Dans le verre, le whisky brille d’une robe dorée ambrée, chaude et lumineuse.

 

La première inspiration évoque une tarte tatin qui sortirait tout juste du four, nappée d’un caramel au beurre salé encore tiède.

 

Au second passage, viennent ensuite les pommes confites, la vanille, une touche de crème pâtissière, puis un souffle plus sec, boisé, comme un vieux meuble ciré dans une maison bretonne en bord de mer.

 

Au troisième passage on découvre une brise saline qui vient rappeler que ce whisky a grandi à quelques kilomètres des embruns. Le tout est enrobé dans une rondeur chaleureuse, presque gourmande, qui invite à la lenteur et à la contemplation.

 

En bouche, l’attaque est ronde, presque onctueuse. Le whisky s’ouvre avec des notes de miel, d’amandes grillées, de fruits jaunes bien mûrs, puis révèle une minéralité saline discrète. Le boisé du fût breton se manifeste avec finesse, ajoutant une dimension sèche et équilibrée.

 

La finale est longue, chaleureuse, et porte la mémoire des dix années passées sous bois. Des échos de fruits secs, de fruits à coque (noisette), de chêne toasté persistent en bouche. 

 


ARMORIK 15 ANS : LA PROFONDEUR BRETONNE À SON APOGÉE

 

Après l’élégance maîtrisée de l’Armorik 10 ans, une nouvelle étape nous attendait dans le chai de la distillerie Warenghem : Armorik 15 ans.

 

Dans cette cathédrale de bois et de silence, le whisky prend son temps, et cette cuvée-là semble en avoir capturé toute la sagesse. David nous présente la bouteille comme on présenterait un confident de longue date. "Celui-ci, c’est le fruit de notre patience la plus exigeante. Il parle doucement, mais il dit beaucoup."

 

Armorik 15 ans a été construit par Erwan Lefebvre à partir de distillats ayant entre 15 et 18 ans.

 

Ce distillat est né de l'assemblage de nombreux vieillissements qui va ravir les plus geeks ! 47% d'une première maturation de 2 ans en fûts de bourbon puis d'une deuxième maturation de 13 ans en fûts STR Vinho,  41% d'une première maturation de 15 ans en fûts de bourbon puis d'une seconde maturation de 3 ans en fûts de Sherry Refill et enfin 12% d'une première maturation de 15 ans en fûts de bourbon et d'une deuxième maturation de 3 ans en fût de chêne Espagnol 1st fill (le fameux 18 ans qui se cache derrière les obligations légales).

 

Embouteillé à 46 %, sans filtration à froid ni colorant, il incarne une version plus profonde, plus structurée de l’âme Armorik et surtout un des plus vieux single français. 

 

Ce whisky est produit en édition limitée, véritable hommage au savoir-faire breton appliqué à la haute maturité du malt.

 

 

Dans le verre, l’Armorik 15 ans révèle une robe acajou cuivré, dense et noble.

 

Au nez, c’est un monde entier qui s’ouvre. Les premières effluves évoquent une bibliothèque ancienne, aux murs tapissés de vieux cuirs et de bois ciré.

 

Le second passage laisse plus de place aux fruits secs – figue et raisin noir –, trempés dans un sherry généreux.

 

Le troisième passage dévoile des arômes de cacao amer, de muscade, de moka légèrement fumé et une touche mentholée, presque camphrée qui s’élève ensuite comme un souffle venu de la forêt.

 

En bouche, l’entrée est ample, presque sculptée. Le whisky glisse lentement, tapissant le palais d’une texture veloutée. Il évoque une confiture de cerise noire sur du pain d’épices, une pointe de réglisse et de cuir.

 

Les vieillissements vineux (sherry et vinho) est présent mais intégré et adouci par le bourbon, apportant de la profondeur sans masquer la céréale. Une tension minérale vient équilibrer l’ensemble, rappelant la granitique Bretagne.

 

La finale est très longue, complexe, marquée par une chaleur noble. Elle évoque le tabac blond, les zestes d’orange confite, le bois toasté, avec un retour subtil sur les épices.

 


YEUN ELEZ FUT N°8366 : LE CARACTÈRE FUMÉ DES MARÉES BRETONS ET DU SOLEIL ESPAGNOL

 

Après la douceur enveloppante de l’Armorik 15 ans, il nous fallait une claque, le vent humide des marais du Yeun Ellez en pleine figure.

 

Dans les chais calmes de la distillerie Warenghem, certains fûts semblent dégager une énergie propre, comme s’ils portaient une mémoire plus intense. Le fût n°8366, sélectionné avec soin pour cette édition Single Cask de Yeun Elez, faisait partie de ceux-là.

 

Une tourbe charnue, saisissante, affinée dans un bois expressif, pour un whisky qui se livre sans compromis.

 

Distillé à partir d’orge tourbée à 50 ppm, ce whisky a été élevé dans un fût de sherry, embouteillé brut de fût à 59,8 %, sans filtration à froid ni coloration. Un concentré de Bretagne fumée, de feu maîtrisé, et de patience bien placée.

 

Un whisky récompensé et salué bien au-delà de son cercle d’initiés avec notamment une médaille d’or au World Whisky Awards France 2025.

 

Disponible au Comptoir Irlandais, cette cuvée s’est rapidement imposée comme l’une des éditions les plus recherchées par les amateurs de tourbe expressive.

 

 

La robe de ce single cask est limpide, dorée aux reflets ambrés, laisse deviner une influence sherry nette, sans excès.

 

Au nez, la puissance est immédiate et ravira les amateurs de tourbe. Elle reste néanmoins contrôlée.

Des notes de tourbe grasse, presque huileuse, se mêlent à une trame de résine de pin et au cuir de vieux perfecto.

 

Au second passage on découvre un influence plus marquée du fut de sherry avec des fruits secs et de la cendre chaude.

 

Au troisième passage, le verre dévoile ensuite des arômes plus sucrés : sucre d’orge, zeste de citron confit, et une pointe subtile de thé noir fumé.

 

En bouche, l’entrée est percutante, presque minérale. La fumée s’installe avec assurance, suivie d’un déploiement aromatique ample : caramel puis poivre et ensuite écorce d’orange, une touche de noix grillée. L’alcool, bien que présent (59,8 % quand même !), est fondu dans une structure aromatique complexe.

 

La finale est longue, droite et très légèrement peu salée. On y retrouve des souvenirs de feu de camp, de bois brûlé de l'opération de cintrage réalisée par Benjamin LeFloch.

 

L’esprit Yeun Elez, concentré et fruité !

 

C'est l’une des expressions les plus brutes et les plus intenses du style Yeun Elez (que j'avais eu l'occasion de vous présenter ici) : une tourbe racée, sans concessions, mais qui sait dialoguer avec finesse. Un whisky pour les amateurs de sensations franches, ou les curieux en quête d’émotion vraie.

 


 

Encore l'esprit enfumé par cette belle tourbe bretonne, nous voyons David se déplacer vers les fûts situé au fond du chais avec en main son cooper-dog ! 

 

L'affiche sur le fut est orange (il sera donc tourbé) et il porte le numéro 858. C'est le prochain distillat très prometteur que je gouterai aujourd'hui, mais nous en parlerons quand il sera en bouteille, je peux juste vous dire qu'il est..... !! 

 

 

Remonter dans BRADPEAT (pas tout de suite bien entendu car je vous rappelle que l'abus d'alcool est dangeureux pour la santé et qu'il faut le consommer avec modération), c’est comme refermer un carnet de voyage. Warenghem n’est pas seulement une distillerie.

 

C’est une histoire en mouvement, une alliance rare entre tradition, innovation et enracinement.

Que l’on vienne pour un verre, une visite, ou un échange avec Benjamin ou David, on repart toujours avec quelque chose : un goût, une idée, une envie de revenir.

 

 

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